Analyse : alignement d'intérêts pour l'investissement intermédié

A la suite des nombreux échanges au sujet de la polémique Blast Club, une question centrale a émergé concernant l’investissement intermédié : l’alignement d’intérêts entre les parties prenantes.

Ce sujet est important pour tous les domaines de l’investissement : immobilier, venture capital, crowdfunding, objets de collection, fonds structurés, etc. Je me focaliserai néanmoins sur le venture capital, où le jeu d’acteurs est le plus complexe et nécessite donc d’y réfléchir à plusieurs fois avant d’y aller.

Investissement en direct

Dans l’univers de l’investissement en direct, il n’y a que 2 acteurs : l’investisseur et la cible

Les choses sont relativement simples (je force un peu le trait, car il peut y avoir d’autres motivations, notamment non financières) :

=> Concernant l’investisseur

  • Dealfow : l’investisseur doit consommer du temps et de l’argent pour rechercher des cibles intéressantes (le dealflow)
  • Due diligence : puis il doit en consommer à nouveau, ainsi que de l’expertise générale (finances) et sectorielle (selon le domaine ciblé), pour analyser le marché de la cible, son avancement à date, ses capacités de croissance, son organisation, sa gestion, la qualité de l’équipe, etc.
  • Closing : puis il doit en consommer à nouveau pour négocier avec la cible les meilleures conditions d’investissement, et le meilleur cadrage juridique (pacte d’associés) avec l’objectif de maximiser ses possibilités de plus-value à terme (terme = quand il cèdera sa participation, ou empochera régulièrement des revenus issus du capital investi), et de minimiser ses pertes si ça se passe mal
  • Operating : selon les cas et les pratiques de l’investisseur, il peut être amené à continuer à consommer de l’énergie une fois le deal réalisé, dans l’optique d’aider la cible à croitre, et donc d’aider sa participation à fructifier

=> Concernant la cible
Elle doit chercher en même temps à :

  • obtenir le maximum d’argent pour le minimum de capital cédé (le bien le plus précieux)
  • garder le contrôle de la destinée de l’entreprise, et ne pas devenir un salarié des investisseurs (motivation profonde de l’entrepreneur : la liberté)
  • choisir des investisseurs qui pourront aider l’entreprise à se développer, au-delà de l’argent collecté
  • consommer le moins de temps possible pour conclure l’investissement, car son core business est le projet, et non de lever des fonds. Et quand on fait l’un, on ne fait pas l’autre.

En investissement direct, l’information est symétrique : ce qui est dit par l’un est connu par l’autre, et réciproquement. Une partie de l’information peut être manquante, mais la due diligence lorsqu’elle est bien faite permet de lever le voile sur les omissions et fausses promesses de la cible. Et l’avocat de la cible est généralement capable de comprendre les intentions de l’investisseur, à la lecture de la term sheet (et/ou du pacte d’associés proposé).

Investissement intermédié

On prend les mêmes, et on ajoute un intermédiaire : club deal, club de business angels, plateforme de crowdfunding, SCPI, FPCI, etc.

L’intermédiaire compte comme client, soit la cible, soit l’investisseur, soit plus rarement les deux à la fois.

Il décharge l’investisseur d’une grande partie du travail d’investissement. En général Dealflow, Due diligence et Closing. Très rarement l’Operating.

Le modèle économique de l’intermédiaire fonctionne généralement comme cela :

  • il perçoit une prime chaque fois qu’un investisseur lui confie ses sous (souscription client / LP - limited partner)
  • il perçoit parfois une prime quand une cible lui confie un mandat de recherche d’investisseurs
  • il perçoit une commission quand il réalise un investissement
  • il perçoit des frais de gestion dans la vie de l’investissement (gestion du portefeuille, création et fonctionnement d’un véhicule d’investissement ad hoc de type SPV, arbitrages, etc.)
  • et la plupart du temps, il négocie une prime de performance (carried interest) qu’il perçoit quelques années plus tard, quand l’investissement est débouclé et qu’il s’avère fructueux (plus-value)

Comme on peut le voir, l’intermédiaire a d’autres priorités que celles de l’investisseur et de la cible :

  • il a intérêt à maximiser les fonds qu’il lève, et à les consommer au maximum (d’autant qu’il y a des minima légaux à respecter)
  • il a des revenus de souscription et de gestion certains à 100%, même si les investissements sont pourris
  • il n’a pas particulièrement intérêt à négocier les investissements au plus bas
  • une fois le deal réalisé, il peut passer au deal suivant

Sa priorité est de lever à max, dépenser à max, et y consacrer le moins de temps et d’énergie possible pour abaisser ses propres frais de structure.

Mais les intermédiaires ont aussi intérêt à maximiser leur carried interest, qui représentent des montants colossaux quand les investissements font d’énormes multiples. Simplement cela nécessite plus de talent, plus de temps, et plus de risque.

Comment séparer le bon grain de l’ivraie ?

Durant mes 30 ans d’expérience d’investisseur, j’ai appris à distinguer 2 catégories d’intermédiaires :

  • ceux qui privilégient les revenus faibles, mais certains, à court terme
  • ceux qui privilégient les revenus hypothétiques, mais aléatoires, à long terme

Les premiers sont, au démarrage, les amis des cibles. Ils investissent vite et beaucoup. Les investisseurs devraient les fuir. Et je pense avec l’expérience que les cibles devraient s’en méfier car au-delà de l’investissement initial, les conditions des deals sont souvent très défavorables à la sortie (actions de préférence, gouvernance, liquidité forcée, etc.).

Les seconds sont les amis des investisseurs. Et même si c’est contruitif, les cibles devraient y être très attentifs car elles pourront bénéficier d’un appui plus profond.

Alors, comment les reconnaître ? => skin in the game

Regardez si l’intermédiaire investit lui même. Lorsqu’il ne le fait pas, ou qu’il investit des clopinettes (moins de 5% du deal), il y a de fortes chances qu’il soit dans la 1ère catégorie. S’il investit lui même, en plus des investisseurs, un montant substantiel, vous avez la quasi-certitude de l’alignement d’intérêts entre intermédiaire et investisseurs. S’il pousse un deal pourri, il en pâtit lui même. Donc il ne le fait pas.

Preneur de vos avis sur le sujet. Et qu’avez-vous à ajouter à cette vision des choses ?

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Track record : j’ai 30 ans d’expérience d’investissement en actions, obligations, FCPI, SCPI, crowdfunding, investissement direct, bourse, assurance-vie, club de BA, etc. J’ai également fondé 5 entreprises, et cédé l’une d’elles. Actuellement, je dirige une société d’investissement en VC, dont je ne fais pas la promotion car notre processus de membership fonctionne en cooptation et que nous ne recherchons pas de nouveaux membres en ce moment.

Intéressant!

Une petite remarque à propos du skin in the game. Le seuil à 5 % écarte tous les fonds importants de private equity ou presque car la part des GP est statutairement de 1% minimum mais rarement jusqu’à 5%.

Exemple avec Ardian: les derniers millésimes font 2 à 2.55 milliards d’euros, les GP ne peuvent pas mettre 100 millions d’euros.

Mon profil n’est pas très éloigné du tien.

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Oui je me suis focalisé sur le venture capital, avec des metrics plutôt orientés pre-seed / seed, où les montant sont nettement inférieurs à ceux des opérateurs de PE de type Ardian.

Et oui, je suis assez sceptique sur le modèle du GP investi à 1%, qui palpe 15-20% de carried.
Mon expérience personnelle est que le TRI est bien meilleur en ETF ou PEA en direct, que de confier des fonds à une structure de collecte et d’investissement avec un fort désalignement.

C’est un très gros sujet le carried interest et la mesure de performance des fonds de PE (VC et autres).
La notion de TRI est assez mal comprise des investisseurs (les LP) , mais pas des gérants ( les GP) qui savent / peuvent le faire évoluer (à la marge) en jouant avec le rythme des appels et des distributions, et en finançant en bridge…

Je prépare une thèse de Master executive sur ce sujet et la démocratisation du PE en général.
Ton avis d’investisseur averti m’intéresserais si on peut en discuter de vive voix à un moment.

De manière plus générale et pour revenir à ton post principal, je ne suis pas, en ce qui me concerne , un gros fan du VC seed. J’ai connu un taux d’échec élevé en choisissant différents projets, sans vrai méthode. J’ai quelque belles réussites aussi, mais cela reste extrêmement aléatoire.
C’est la raison pour laquelle j’ai rejoins le blast club l’année dernière ( que je quitte ) ainsi que Paris Business Angel, dans un but d’apprentissage essentiellement.

Pour PBA je peux témoigner que leurs méthodes de due dilligence, très pro et rationnelles , me permettent de me faire un avis bien plus éclairé avec de vraies thèses d’investissements partagées entre les membres. De plus l’encadrement juridique des deals est sain et équilibré, pour les fondateurs des startups comme pour les business angels de PBA.

Reste la qualité des dossiers, très variables car les grands VC européens et français sont toujours les premiers à se positionner.

Ainsi je préfère très largement investir en LP, dans des fonds growth , co-invest ou thématiques par exemple, biens choisis et j’accepte les frais de gestion et de performance.

Bien sur la performance finale s’en ressent mais la comparaison avec l’investissement sur les actifs cotés (ETF ou titres vifs) est un peu biaisée.

Le Private Equity permet d’investir dans l’économie réelle, dans des thèmes plus ou moins ciblés et dans des entreprises qui ne seront pas accessibles en bourses avant très longtemps.

Le risque pris doit cependant être correctement rémunéré, et l’alignement des intérêts doit être préservé au mieux.

L’équipe de gestion d’un fond n’est pas un intermédiaire à mon sens, puisqu’elle gère très concrètement les fonds confiés, pilote les managers, utilise son réseau pour améliorer la performance des cibles et est alignée avec les intérêts des LP ( les investisseurs).
Un hurdle + un carried sont somme toute assez logiques.

Un fond de fonds avec un carried, là ça pose problème car le GP du fond de fonds n’a pas grand chose à faire opérationnellement qui justifie ce partage de la performance disproportionnée avec sa propre prise de risque.
D’ailleurs on voit des fonds de fonds avec des carried à 10% au lieu de 20%, ca commence à aller dans le bon sens.

Voyons ce que Blackrock va faire dans l’avenir, ils parlent de lancer des ETF de PE, avec des frais réduits.

En tout cas bravo pour ton post très intéressant.

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